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Le libertinage : entre émancipation personnelle et désobéissance politique

Le libertinage a longtemps été perçu comme une transgression des normes sociales et sexuelles établies. Mais à mesure que ces normes évoluent dans nos sociétés contemporaines, la définition même du libertinage devient plus floue. S’agit-il encore aujourd’hui d’une pratique subversive ? Ou le libertinage est-il en train de devenir une sexualité parmi d’autres ?

Derrière ces questionnements se cache en réalité tout un pan de l’histoire intellectuelle française, marquée au XVIIe siècle par l’émergence du courant des « libertins érudits ». Parmi eux, François de la Mothe Le Vayer (1588-1672) occupe une place à part. Tour à tour protégé de Richelieu, précepteur du jeune Louis XIV, puis membre de l’Académie française, ce penseur prolixe est le parfait exemple du libertin qui navigue entre les sphères du pouvoir et une intense vie intellectuelle personnelle.

La pensée de François de la Mothe Le Vayer est traversée par un paradoxe fondateur : comment concilier obéissance extérieure au pouvoir en place et émancipation intérieure de l’individu ? Derrière cette tension se cache en réalité une conception très moderne de la liberté.

Le libertinage selon la Mothe Le Vayer : une désobéissance intérieure

Définition du libertinage

Avant d’analyser plus avant la pensée de notre auteur, il convient de s’arrêter sur une définition du libertinage. Pour la psychologue et sexologue Caroline Janvre, « le libertinage peut se voir comme le fait que des personnes aient des relations sexuelles en dehors de la ‘norme’ de la monogamie ». Concrètement, cela recouvre un large éventail de pratiques, du polyamour à l’échangisme en passant par les plans à trois.

Là où l’adultère repose sur le mensonge, le libertinage prône la transparence. Les partenaires sont consentants et informés des pratiques auxquelles ils participent. Il ne s’agit donc nullement d’une tromperie ! Le libertinage est plutôt une célébration assumée de la liberté sexuelle.

Maîtriser ses passions pour se libérer

La définition du libertinage posée, intéressons-nous maintenant à la conception très personnelle qu’en a François de la Mothe Le Vayer. Pour lui, le libertinage n’est pas seulement une transgression des codes sexuels, c’est aussi et surtout un affranchissement intérieur vis-à-vis des normes sociales.

Cette libération passe avant tout par une meilleure connaissance de soi. Dans son traité « De la connaissance de soi-mesme », Le Vayer explique qu’il faut commencer par maîtriser ses passions avant de songer à gouverner les autres. L’homme doit apprendre à se satisfaire de ce qu’il est, sans désirs de gloire ou de richesse démesurés.

Cet appel à la tempérance n’est pas sans rappeler les préceptes stoïciens. Le sage doit accepter sa condition et se contenter de suivre les lois de la nature. Une fois débarrassé de ses envies futiles, il peut alors prétendre guider ses semblables. On retrouve ici l’idée que le bon dirigeant se doit d’être d’abord un homme accompli.

Obéir sans adhérer : le paradoxe du libertin

Mais le rapport de la Mothe Le Vayer au pouvoir est plus complexe qu’il n’y paraît. D’un côté, il fut le précepteur même du jeune Louis XIV et rédigea à son attention toute une série d’ouvrages destinés à en faire un souverain éclairé.

Dans ces écrits transparaît une forme de légitimation du pouvoir absolu. Le roi se doit de protéger et d’aimer ses sujets, un peu à la manière d’un père bienveillant. En échange, le peuple lui doit obéissance et respect. On retrouve ici l’influence du modèle familial antique dans l’art de gouverner.

Mais d’un autre côté, la Mothe Le Vayer prône dans ses écrits personnels une forme de désobéissance intérieure. S’il faut se plier aux lois du souverain, l’assentiment intérieur n’est pas requis. Le sage peut garder son libre-arbitre dans la sphère privée. C’est là toute l’essence de la pensée libertine !

La formation du jugement comme voie vers l’émancipation

Une éducation liberticide

Si le libertinage permet une émancipation personnelle, celle-ci requiert au préalable un solide travail de formation du jugement. Or, la Mothe Le Vayer dresse un constat sévère du système éducatif de son temps.

L’instruction des jeunes enfants lui semble tout à fait insignifiante. On leur inculque des savoirs sans lien avec leur quotidien, qu’ils oublient aussitôt. Pire, les châtiments violents auxquels ils sont soumis brisent leur esprit critique. Ils ressortent de ce cursus formaté et privé de toute autonomie intellectuelle.

Redécouvrir les Anciens

Face à ce constat accablant, le libertin préconise un tout autre modèle éducatif, centré sur la redécouverte des textes antiques. Au lieu d’imposer une pensée toute faite, il s’agit de permettre à chacun de se forger son propre jugement.

Concrètement, la Mothe Le Vayer recommande la pratique de la méditation solitaire. En lisant les grands auteurs du passé, l’esprit s’ouvre et s’enrichit. Il ne s’agit pas de reproduire servilement leurs écrits, mais de s’en inspirer pour créer à son tour. Le savoir est ainsi conçu comme un matériau à modeler.

Grâce à cette stimulation intellectuelle, l’individu développe son sens critique et son autonomie. Il peut alors prétendre se gouverner lui-même, sans avoir besoin qu’on lui impose une vérité toute faite depuis l’extérieur. C’est là le cœur du processus d’émancipation tel que l’entend François de la Mothe Le Vayer.

Former des esprits libres

Bien qu’il fût le précepteur même du futur Louis XIV, la Mothe Le Vayer ne cherchait nullement à « convertir » son royal élève à une doctrine préétablie. Son enseignement visait bien plutôt à former un esprit libre et autonome, à même de prendre des décisions éclairées une fois sur le trône.

Cette conception de l’éducation tranche radicalement avec l’endoctrinement pratiqué à l’époque dans les institutions religieuses. Au lieu de formater les individus, il s’agit de leur transmettre un corpus de connaissances à partir duquel ils construiront leurs propres opinions. L’élève n’est plus un réceptacle passif, mais un partenaire actif de son propre développement.

En substance, François de la Mothe Le Vayer esquisse les contours d’un modèle éducatif émancipateur. Sa pensée libertine annonce à bien des égards les idéaux des Lumières qui triompheront au siècle suivant. Derrière l’érudit protéiforme perce déjà la figure du pédagogue des temps modernes.

Conclusion

La pensée de François de la Mothe Le Vayer nous éclaire sur l’essence même du libertinage. Bien plus qu’une simple transgression des codes sexuels et moraux, il s’agit d’un processus globale d’affranchissement vis-à-vis des carcans mentaux.

Paradoxalement, cette émancipation passe à la fois par l’obéissance aux lois établies dans la sphère publique et par le développement d’une absolue autonomie de pensée dans la sphère privée. Une synthèse délicate qui correspond finalement assez bien à notre conception moderne de la citoyenneté.

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